Drapé: Ketabi Bourdet - 22, passage Dauphine, 75006 Paris

Overview
Pauline d'Andigné, François Bauchet, Christo, Leonor Fini, Yanma Fofana, Kristian Gavoille, Alexandre Gourçon, Audrey Guttman, Martin Kersels, Gustav Klimt, Milan Kunc, Shiro Kuramata, Marc Leschelier, Inès Longevial, Ingo Maurer, Gaetano Pesce, Elizabeth de Portzamparc, Danis Santachiara, Dorothée Selz, Ara Starck, Philippe Starck, Kazuhide Takahama, Tom Vack
Un cauchemar. C’est ce qu’un drapé inspire à tout apprenti dessinateur confronté à la cascade d’ombres que la lumière sculpte sur le textile. 
Mais malgré la difficulté technique de sa reproduction, le drapé fut un motif récurrent de la peinture et la sculpture classiques. Plastique, il peut être à la fois décor (les étoffes colorées servant de fond aux Vierges à l’enfant de Giovanni Bellini par exemple), mais aussi vêtement (on pense à la Naissance de Vénus de Botticelli) et surtout le subterfuge utile pour masquer tout ou partie de la nudité d’un corps, notamment masculin. Si des siècles de pudeur assureront au drapé son omniprésence, on pourrait être surpris que la libération des corps n’ait pas complètement frappé le drapé d’obsolescence et qu’au contraire, de nouveaux territoires se soient ouverts à lui. 
 
L'extension du domaine du drapé 
Abandonnant peu à peu la peinture, devenue abstraite tout comme la sculpture qui ne s’embarrasse plus du réalisme, le drapé trouve dans le paysage domestique son nouveau territoire. Il devient l’expression poétique de l’absence et sublime l’abandon : les première images de la Villa Malaparte qui circulent dès la fin des années 1960, après que Jean-Luc Godard ait révélé la force dramatique de cette architecture, montrent des canapés recouverts d’un linge blanc, perdus dans des pièces rigoureusement vides. Le flou du tissu semble signaler le seul point de confort de cet espace minéral. Le meuble nonchalamment habillé semble dès lors devenir l’archétype d’un confort relâché, allié à la lumière méditerranéenne (a-t-on déjà vu des meubles ainsi recouverts dans un chalet alpin ?). 
C’est cela que convoque Kazhuide Takahama, formé au Japon et arrivé en Italie à la fin des années 1950, lorsqu’il dessine, pour Gavina, le canapé Mantilla (1973). Un meuble ready-made, tel qu’il serait retrouvé dans une maison de vacances, fermée durant de long mois. Takahama souligne, par un drapé, la nudité du design et son caractère générique dont l’originalité formelle ne tient qu’aux ondulations aléatoires du tissu. 
 
Le drapé-dépouillé
Dès lors, le drapé devient forme : fixé dans l’épaisse plaque d’acrylique de la lampe « Ghost » dessinée par Shiro Kuramata, le drapé dessine en 1972, un fantôme domestique. Quant à Frans van Nieuwenborg et Martijn Wegmanle, ils habillent une simple douille et son ampoule d’un tissu de fibre de verre pour Ingo Maurer en 1980. 
Ce geste annonce dans les années 1980 et particulièrement en France l’arrivée d’un design simple, inspiré d’une volonté démocratique. 
Philippe Starck saisira la balle au bond en dessinant le fauteuil Dr Bloodmoney en 1978. Cet écho déstructuré à la collection bourgeoise et rigide « CAB » de l’italien Mario Bellini, marquera l’arrivée dans le vocabulaire du créateur du drapé, du plissé et autres effets d’étoffe. Il signera en 1992 la magistrale table Illusion pour l’éditeur italien FIAM, objet à la fois subtil et fort, minimal et poétique. On y voit, fixé dans le verre, le fantôme de Kuramata, l’esprit d’un Pesce et un goût pour le drapé dont le couloir d’entrée de l’Hôtel Delano à Miami, ouvert en 1995, signera le paroxysme. Chez Starck, le virus est si résistant qu’il se transmet par filiation : la jeune artiste Ara Starck adopte le motif et l’étend sur l’ample surface du plafond du restaurant de l’Hôtel Meurice en 2008. Depuis cette œuvre manifeste, l’artiste fera de ces kaléidoscopes textiles sa signature, en digne héritière de son père et lointaine admiratrice de José Maria Sert. 
À l’opposé, lorsque l’architecte Marc Leschelier drape d’un textile de ciment ses structures métalliques, le dénuement se double d’une dimension dramatique. L’épais textile gris décrit des volutes figées qui plombent vers le sol, figurant un désespoir post-apocalyptique et qui font de Leschelier l’architecte et sculpteur des ruines futures, comme Hubert Robert, fut, en son temps, le peintre des ruines passées. 
 
 Le drapé manifeste
Aussi plastique que duplice, en même temps qu’il devenait l’apparat d’un design relâché et nu, le drapé devient l’allié du nouveau Post- Modernisme. 
Le signe avant-coureur de cette bascule sera fourni par la façade, textile, imaginée par le jeune Rem Koolhaas (36 ans à l’époque) de son pavillon installé le long de « Strada Novissima », Grand-Rue de l’esthétique post moderne révélée à la Biennale d’architecture de Venise de 1980. Contrairement à ses voisins qui rivalisent de colonnes et chapiteaux en couleur de gelati, la façade de Koolhaas est un drap tendu, dont un coin, plié, sert d’entrée au pavillon. Il le reconnaitra : le recours à ce simple drap qui ondule est l’affirmation de sa volonté de ne pas participer à la surenchère esthétique alentours, mais plutôt de proposer une non-façade voire une anti façade. Le drapé revient alors dans l’imagination de Takahama. Cette fois, en dessinant la lampe Nefer en 1986 pour l’italien Sirrah, le drapé vient chapeauter une solide structure de colonnes de laiton doré, plantés dans un socle de marbre. Le drapé n’est plus seul et mou, il se conjugue à la rigueur d’une structure architecturale et ouvre une nouvelle époque. On trouve cette même articulation dans la chaise Liliploom de François Bauchet dont l’assise de résine courbée qui semble onduler sous l’effet du vent est solidement arrimée à une armature croisée de métal gris. Bauchet ouvre avec cette chaise de 1985, un nouvel imaginaire pour le drapé : celui du mouvement. Kristian Gavoille pense certainement à la robe de Marylin gonflée par l’aération du métro quand il dessine la table Divine et son pied en jupon. Denis Santachiara fait flotter un étendard bleu propulsé par un Mistralmécanique et Elizabeth de Portzamparc imagine une vague de MDF laqué qui ondule en flanc de mur. Quant à Gaetano Pesce, il offre en 1995 avec sa lampe Rag, l’une des premières expérimentations de Fish Design avec le matériau qui deviendra sa signature, la résine libèrant le fantôme de Kuramata et lui donne des couleurs.
 
Le drapé domestiqué 
Si le design offrit au drapé un terrain fertile pour déployer ses nuances, l’apparition, dès la fin des années 1950 des premiers objets emballés de Christo rouvre le champ de l’art à ce motif qui semblait l’avoir déserté au moment où l’abstraction devenait le langage universel de l’expression artistique. Il n’est pas sans nous étonner que de voir comment le drapé revient par le biais d’un artiste qu’il serait difficile de cataloguer parmi les abstraits ou les figuratifs. 
Chez Christo, le drapé est contraint par des cordes qui dessinent par leur tension un faisceau de plis qui deviennent le motif prévalent de l’œuvre. En regardant une œuvre de Christo, que voit-on sinon des plis, des liens et le rythme que ces deux éléments conjuguent avec l’objet (ou le monument comme dans l’empaquetage du musée d’art contemporain de Chicago de 1969) ? 
Si le drapé est libre, il devient plissé lorsqu’il est contraint, ceint, tendu. C’est le centre du travail d’Alexandre Gourçon qui ordonne le plissé autour de failles textiles qui semblent, telles des commissures, sur le point de se rompre. Le fait que cette tension palpable puise son inspiration dans l’histoire de la mode nous ramène à l’origine du drapé dans l’art : celle de la représentation d’un costume. Et ce sont justement les peintres d’aujourd’hui, qui, revenus à la figuration, conjuguent le drapé avec dextérité. Chez Inès Longevial (avec la couleur des heures vécues, 2023), le drapé bien que nimbé des couleurs solarisées qui font la singularité de sa palette, sait cacher l’impudeur tout en révélant l’anatomie du modèle. Un paradoxe qui résume bien l’utilité du drapé, qui cache autant qu’il révèle, qui dénude autant qu’il habille.  
 
Emmanuel Berard
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