Maisie Cousins à la galerie Ketabi Bourdet : beauté révulsante

Milena ILL, Fisheye, 21 March 2023
« Vous souvenez-vous de vos premiers frissons ? Ceux de votre corps, de votre esprit, de votre cœur ? » C’est ainsi que la curatrice Élise Roche présente Premiers vertiges, une exposition qu’elle veut personnelle et intime, à l’image de son rapport aux artistes et aux œuvres qu’elle a choisi de présenter. La galerie Ketabi Bourdet accueille actuellement de la vidéo, du design, du stylisme, de la peinture ou de la photographie. Leur point commun ? Une histoire collective de passage à l’âge adulte. Les images y sont tourbillonnaires, sensuelles et sensorielles, de l’étourdissement à la griserie, de l’ivresse à l’extase. « Au départ, raconte la curatrice, le thème devait être l’époque adolescente, mais au fil de l’exposition, on réalise que ce sont tous et toutes de grands enfants qui ont emmené les créatures et les vertiges qui peuplaient leur imaginaire au cœur de leur univers artistique ». Une exposition peuplée de figures hybrides : des fleurs irisées géantes, peintes par Marcella Barceló, une créature aux fraises esquissée sur une robe par le styliste Charles de Vilmorin, un patchwork tapissé de mille visages permettant à Inès Longevial d’évoquer le mythe du phénix…
Seule photographe convoquée, Maisie Cousins, du haut de ses 30 ans, a déjà été exposée à la Tate Britain, à la Tate Modern ainsi qu’au Festival Vogue Photo à Milan. Ses images en gros plan d’aliments pourris, d’ordures et d’insectes au pouvoir poétique captivant constituent des œuvres difficiles à acquérir – c’est d’ailleurs la première fois qu’elle présente deux de ses photographies en France. La première, intituléeWasp, représente une guêpe morte gisant sur un fruit exotique aux mille nuances orangées. « Elle vient entrer en résonance avec le mythe d’Icare, celui qui en voulant toucher le soleil se brûle les ailes », interprète Élise Roche. La seconde, Blue Mermaid, représentant une miniature de sirène bleue en plastique échouée au milieu d’aliments qui n’inspirent guère l’appétit.
 

Des images inconfortables, mais stimulantes

Tomber sur une photographie de Maisie Cousins suscite souvent une réaction viscérale. Il demeure cependant difficile d’en détourner les yeux, car ses œuvres exercent un réel pouvoir de fascination. Tout comme Lucile Boiron, elle trouve dans la photographie un moyen d’interroger la vérité biologique, en jouant entre la sensualité, le grotesque et une crudité viscérale. Toutes deux cultivent ainsi un style subtilement subversif, duquel émerge une poésie profonde. Dans l’agencement de l’image tout d’abord ; mais aussi dans la combinaison des couleurs d’éléments naturels et artificiels, des textures – puisque Maisie Cousins n’utilise pas PhotoShop. Mais aussi dans le contraste entre le perturbant et l’incongruité la plus totale de ce qui nous est présenté. Ses photographies sont créatrices d’un véritable tourbillon intérieur, provoquant des visions imaginaires, autant que d’un vertige physique, en raison de l’effet de gros plan et le caractère étrange de ses compositions.

« Les sujets dont elle s’approche sont terribles dans la vie quotidienne, mais Maisie Cousins parvient à imaginer des mondes oniriques à partir de ceux-ci », assure Élise Roche. De cette manière, l’artiste ne fait que créer un espace qui, en définitive, n’existe pas dans le quotidien. « Le vertige, c’est aussi ce moment où l’on se demande quand est-ce que cela va s’arrêter, poursuit la curatrice de l’exposition. Au fond, chacune de ces œuvres est à la fois premier et dernier vertige. L’abeille morte de Maisie Cousins en est peut-être à sa fin, ou bien à son début. » Les thématiques du pourrissement et de la chute explorées par Maisie Cousins entrent ainsi en résonance avec le sentiment de transition, de la recherche d’identité et de la création d’un monde nouveau. La photographe nous invite à une forme d’exploration de nous-mêmes, afin de prendre conscience des différentes strates qui nous composent, de la répulsion au sentiment de douceur et d’émerveillement. Échapper à l’ennui, être pris·e dans le tourbillon des sensations : voilà le désir qui anime le plus l’artiste, et que nous transmettent de toute évidence ces images singulières.

 

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