Audrey Guttman, Tsimtsoum: Galerie Nathalie Obadia, 8 Rue Charles Decoster, Bruxelles, Belgique

Overview
Sur une invitation de la galerie Nathalie Obadia, Ketabi Bourdet a le plaisir de présenter Tsimtsoum, une exposition personnelle d’Audrey Guttman, à l’occasion d’Art Brussels 2023.
Dans la cosmogonie de la Kabbale, le Tsimtsoum désigne le prélude à une série de processus ayant mené à la création du monde. Avant le commencement, il n’y avait que le ein sof, une unité infinie de présence divine. Pour permettre la création de mondes finis et distincts, Dieu a contracté, ou dissimulé, sa lumière infinie. Ensuite, dans le premier Royaume du Chaos, il a répandu sa lumière dans dix vases, entraînant la brisure des réceptacles. Les fragments survivants, baignés de luminescence divine, ont ruisselé dans le royaume suivant, celui de la Réparation, celle que les hommes doivent opérer afin de rétablir le lien avec le divin.

Cette nouvelle série d’œuvres d’Audrey Guttman explore les paradoxes conceptuels et formels inhérents à la notion de tsimtsoum pour interroger les processus mêmes de la création artistique et de l’éveil spirituel : les dualités inéluctables de l’absence et de la présence, de la contraction et de la création, de l’obscurité et de la lumière. Le cycle tripartite révélation-destruction-réparation se répète à travers les religions et les cultures, du bouddhisme Zen à la psychologie jungienne. Il trouve ici une analogie presque parfaite dans le processus du collage, par lequel une mer infinie de symboles doit être passée au crible avec discernement, découpée, et réassemblée pour faire surgir de nouveaux sens.

Comme le montre le tsimtsoum, les commencements ne se déroulent jamais tout à fait au début. Audrey Guttman le sait bien. Travaillant avec une vaste réserve d’images d’archives, soigneusement choisies au fil des ans, dans des livres, magazines, publicités, etc., d’époque, elle crée de nouveaux champs de signification à travers une série de médias et de processus. « Rien ne vient de rien », me dit-elle lors d’une récente visite à son atelier, faisant référence à la fois au lit de découpes sur sa table de travail et à son point de vue sur la construction de l’identité et de l’expérience individuelles.

La Kabbale abonde en métaphores, encourageant l’interprétation de ses messages sur de multiples registres, du métaphysique global au personnel émotionnel et psychologique, incarnant la croyance que le divin innerve toutes les choses de l’univers. De même, la pratique d’Audrey Guttman, nourrie par la poésie, la philosophie, la psychologie et la théologie, est profondément liée à sa façon d’être au monde et à son désir d’en dégager du sens.

La lumière apparaît comme un motif et un médium central d’un bout à l’autre de cette exposition. Ici, l’artiste a expérimenté avec le cyanotype–une façon tangible de peindre avec la lumière et le temps. Si l’on imagine l’objet cyanotype comme un contenant de lumière, le processus technique reproduit le récit du Tsimtsoum. Le riche ton bleu du cyanotype - une couleur aux multiples connotations spirituelles et élévatrices - résulte de l’exposition directe à la lumière. Les images qui apparaissent sur la page en nuances de blanc n’émergent qu’à travers la restriction de la lumière à ces endroits, faisant écho au retrait de la lumière divine infinie qui a donné naissance aux formes finies.
 
Cette dialectique spatiale — cacher pour révéler, se retirer pour s’étendre — est indissociable de la dimension temporelle, comme y fait allusion la présence d’instruments de mesure du temps dans l’exposition. Jacques Derrida a qualifié le temps d’«élément de l’invisibilité même», en ce que son accumulation ne peut être perçue que par son écoulement, un paradoxe formellement exploité par une horloge à feu en grès émaillé, et une image à grande échelle d’un système de réveil du XVIIIe siècle dans un paysage désert.

Néanmoins, tout travail nécessite un début, une tactique d’ouverture –l’ancrage d’un premier mot, d’une marque, d’un geste, d’où tout le reste suivra. Mais comment tracer sa voie au-delà des dimensions familières de l’espace et du temps? Les compositions oniriques d’Audrey Guttman semblent trouver une façon de contourner cette difficulté. Ses alter ego de papier, téléportés dans des paysages rêvés d’un bleu infini, évoluent parmi les bougeoirs et les échiquiers, cherchant des réponses dans la lumière. Réponses qui, peut-être, se trouvaient déjà, depuis le début, dans la question.

Melanie Scheiner
 
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At the invitation of Galerie Nathalie Obadia, Ketabi Bourdet is pleased to present Tsimtsoum, a solo exhibition by Audrey Guttman, on the occasion of Art Brussels 2023.

According to Kabbalistic cosmogony, Tsimtsoum refers to the first in a sequence of processes that led to the creation of the world. Before the beginning, there was only the ein sof, a single infinite unity of divine presence. To make room for finite, distinctive worlds to exist, God had to contract, or conceal, his infinite light. Then, in the first realm of Chaos, he emanated his light into ten vessels, thereby shattering them. The resulting shards, now coated in this divine luminescence, showered down into the next realm of Repair, where through their reconstruction, a connection to the divine may be restored.

Audrey Guttman’s new body of work conceptually and formally explores the paradoxes inherent to the notion of tsimtsoum to interrogate the very processes of artistic creation and spiritual awakening: the necessary dualities of absence and presence, contraction and creation, darkness and light. The tripartite cycle of revelation-destruction-repair is echoed again and again across religions and cultures, from Zen Buddhism to Jungian psychology. Here, it finds a near perfect analogy in the material process of collage, in which an infinite sea of symbols must be discerningly sifted through, cut apart, and reassembled to reveal new meaning.

As the tsimtsoum demonstrates, beginnings never take place quite at the beginning. Audrey Guttman knows this. Working with a vast archive of images, carefully culled over the years from vintage books, magazines, advertisements, and so on, she creates new fields of meaning across an array of media and processes. “Nothing comes from nothing”, she tells me on a recent visit to her studio, referring both to the carpet of cut-outs on the table before her and her view on the construction of individual identity and experience.

The Kabbalah deals heavily in metaphor, encouraging the interpretation of its messages on multiple registers, from the global metaphysical to the personal emotional and psychological, embodying the belief that the divine intersects all things in the universe. Similarly, Guttman’s practice, nourished by poetry, philosophy, psychology, theology, is deeply entwined with her way of being in the world, and her quest to make sense of it.

Light emerges as a central motif and medium throughout this exhibition. Here, Guttman experimented with cyanotype printing – a means of effectively painting with light and time. Imagining the cyanotype object as a vessel of light, the technical process echoes the narrative of tsimtsoum. The cyanotype’s rich blue tone– a hue with many spiritual and healing connotations – is a reaction to direct light exposure. The images that appear on the page in shades of white only emerge through the restriction of light to those areas, mirroring the concealment of the divine infinite light that gave rise to finite forms.

This spatial dialectic – concealing to reveal, withdrawing to expand – is also bound up in a temporal dimension, alluded to by the presence of time-measuring systems in the exhibition. Jacques Derrida referred to time as “the element of invisibility itself”, in that its accumulation can only be perceived in its depletion, a paradox formally harnessed by a glazed stoneware candle-clock and the large-scale image of an 18th century alarm system set against a desolate landscape.

Nevertheless, all work necessitates a beginning, a gambit – a defining first word, mark, or gesture from which all else will follow. But how to chart a course outside the established logics of space and time? Audrey Guttman’s oneiric compositions seem to find a way around this dilemma. Her paper-based alter egos, teleported into dreamy landscapes of infinite blue, roam amongst candles and chess boards, looking for answers in the light. Answers that, perhaps, were in the question, all along.

Melanie Scheiner
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